Biodiversités : le patrimoine vivant au jardin gastronomique

Comme prévu, ce dernier vendredi de juin, nous étions une quinzaine à rallier les hauts de Pierrouret, à la limite entre Lourmarin et Puyvert – des Puyverduns, une Vauginoise et une petite moitié de membres de l’association et amies. La température était optimale pour la marche exploratoire, la déambulation au milieu des plants de légumes et de fleurs et des dégustations à la volée.
Nous avons pu, sous la conduite des jardiniers, Jean-Pierre et Karine, lui responsable des légumes, elle des fleurs, et leur fils Louis, grand ordonnateur ès pommes de terre, sirops de cerises blanches, radis et autres pois, découvrir de nombreuses curiosités cultivées : fleurs rares, aromatiques inconnues, épinards bizarres, les premières tomates issues de la la grainothèque familiale (un patrimoine de 600 variétés conservées dont une soixantaine est en culture cette année). Nous avons notamment dégusté les premières tomates dont une espèce petite au goût pourtant très prononcé et agréable, la bianca.
« LeS diversitéS », au pluriel, comme le précise notre guide jardinier imprègnent le Jardin gastronomique et ce qui s’y vit. Le paysage alentour nous nourrit de sa diversité, au nord le petit Luberon veille, et au sud, la Sainte-Victoire se dessine à l’horizon, entre deux ouvertures d’arbres, éclairée de la lumière du soleil couchant en ce soir de visite. Nous sommes comme dans un cocon, hors du monde.

Arbres, fleurs, légumes, plantes aromatiques, sont donc cultivés ensemble : les chênes, pins et autres grands arbres déjà anciens surplombant le jardin, hébergent des insectes dont les pollinisateurs, oiseaux et autres animaux sauvages qui régulent les populations du jardin et offrent ombrage et protection, aux cultures et aux jardiniers ; les Chénopodes et pommes de terre, scabieuses, folle avoine et iris, les plantes sauvages côtoient les plantes cultivées ; les roses aux couleurs et parfums multiples ; les zinnias, cosmos, campanules, bleuets, camomilles, achillées millefeuille pour les plus connues. Des fleurs en plantules feuillues, d’autres en boutons, d’autres encore aux corolles épanouies, et certaines en graines, parsèment le jardin, avant de composer des bouquets colorés. Tomates, courgettes, poivrons – pour les ratatouilles et autres plats méditerranéens –, mais aussi pommes de terre, haricots verts et secs, courges, cebettes, tournesols, amarantes, basilics, sauges grandissent ensemble, chaque plante à son rythme et selon sa saison.
Une diversité de plantes qui nous permet de nous nourrir au fil des mois, toutes cultivées en plein champ, confrontées aux intempéries aussi bien qu’au mistral et au soleil brûlant. La diversité de variétés dites « variétés population », reproductibles, non industrielles, est ici recherchée.

Les tomates « véritablement anciennes » sont le plus souvent des variétés oubliées qui ont été remises à l’honneur par des passionnés depuis la fin du XXe siècle. Jean-Pierre a ainsi recueilli des plants de tomates auprès d’anciens jardiniers et paysans dont les fermes et jardins ont été vendus et détruits ou auprès d’autres collectionneurs. Ces variétés anciennes peuvent se reproduire à l’identique, sous l’œil attentif d’un jardinier à la différence des variétés commerciales ou professionnelles, hybrides F1. La sélection « massale » que pratique Jean-Pierre repose sur le savoir faire et l’observation attentive du jardinier. Ainsi ce plant de blette, en toute fin de cycle, encore en terre ce jour, dont il a repéré des aptitudes particulières. Ses graines seront gardées pour les prochains semis. Chaque variété est une histoire entre le projet des humains, un terroir, un climat, une météo annuelle. Les variétés anciennes nous offrent une grande diversité de formes, tailles, couleurs, saveurs et autres vertus nutritives. Ces variétés offrent aussi l’autonomie au jardinier, qui conserve ainsi ses semences et, au fil des années, ses plantes sont de plus en plus à son image et à celle du lieu qu’il cultive.

Le Jardin gastronomique est installé sur plus de deux hectares de terres redynamisées depuis cinq ans pour produire des aliments sains et équilibrés, sans pesticides ni autres produits chimiques de synthèse. Séduits par ce terrain, ancienne ceriseraie dont les fruits étaient transformés à la conserverie d’Apt, nos trois micro-maraichers passionnés ont gardé nombre de cerisiers qui produisent encore (pour produire des jus de fruit), tout en plantant pommiers, abricotiers, amandiers et oliviers. Ils ont su composer avec le passé et les potentialités du lieu. Des qualités et des fragilités liées à l’origine de cette terre située à flanc de colline, et au passé agricole, qu’ils découvrent encore au fil des saisons. Le sol, autrefois très travaillé avec les machines pour une culture ‘ «propre», est, au Jardin gastronomique considérée comme un creuset de vie à entretenir. Pour la régénérer et maintenir ce ferment, la terre est couverte à toute saison de crottins de chevaux, du fumier composté des chèvres voisines, de la paille, de bois broyé, d’engrais verts aux intersaisons, toutes substances qui apportent au sol de la nourriture et confortent sa structure. Dans ce sol vivant, la vie s’installe et prolifère. Des vers de terre creusent des galeries et digèrent les débris végétaux, apportant autant de nourriture aux autres animaux qui se partagent l’espace : collemboles, cloportes, millepattes (myriapodes), autres insectes adultes, larves ou nymphes mais aussi des champignons microscopiques, des bactéries et des virus, les micro-organismes qui sont les maillons de la chaine de la vie. Cette diversité maintient ainsi la vie en équilibre et permet d’obtenir des plantes saines et nourrissantes.
Son Jardin gastronomique est aussi le terrain d’expériences des campagnoles, régulés par une couleuvre installée dans les lieux, des lézards ocellés, des renards, fouines, putois, faisans, et autres cigales dont l’une s’est montrée à nous, des rolliers et nombre de petits passereaux… Les animaux sauvages participent à la vie du jardin. Les sangliers, le plus possible, sont tenus à l’écart par une clôture électrique basse.

Le Jardin gastronomique qui est cultivé selon des principes biologiques les plus «naturels» possibles s’appuie sur une connaissance fine des relations entrant dans la composition et le fonctionnement du vivant.

Cette fin d’après-midi a été vécue par par tous les participants véritablement comme une expérience de vie étonnante et enrichissante. Ce projet de vie porté par nos trois maraîchers témoigne qu’avec conscience et rationalité, on peut produire une autre agriculture, celle qui tissera vraiment la connaissance intime du terroir avec celle tirée des meilleures études botaniques et environnementales.

Compte-rendu de la visite au Jardin gastronomique organisée par Lourmarin Culture et Patrimoine, le 30 juin 2023, écrit par Marie-Christine Fave et Serge Cosseron

Postface personnelle par Serge Cosseron, président de Lourmarin Culture et Patrimoine

Hasard de la vie et de l’expérience littéraire que je mène de fait – je consacre plusieurs heures de la journée à la lecture –, j’ai pu achever le livre que j’étais en train de terminer – une sorte d’autobiographie écrite par un vieux militant du courant politique de ma jeunesse, devenu un poète et surtout qui a été un des premiers à traduire les œuvres de l’anarchiste américain Murray Bookchin – avec émotion. Ses mots ont fait écho à notre visite et je me suis senti obligé de vous les faire partager *:
«Ici, il faut du soin…» – oui c’est le mot : avec quel soin était cultivé, moissonné gerbe à gerbe le carré de blé qui fournissait le pain de l’année, le carré de patates, pour les humains et le cochon, le potager, le verger…, dur, constant labeur, mais aussi observation attentive des besoins de chaque plante, de chaque arbre, de chaque chèvre ou brebis – de la peine et parfois de l’angoisse, mais aussi quelle expérience enrichir jour après jour, année après année, quelle connaissance, quelle intelligence de ce fragment de nature avec lequel il fallait vivre en symbiose… Situation, condition limite, évidemment, même si elle est partagée par des millions d’humains, diversement, et toujours sous l’emprise de la nécessité…
Cela parlait d’une autre époque : celle des paysans de l’Ubaye à la fin de la Seconde Guerre mondiale; mais cela sonne très juste à mon avis, même si hier soir il n’était question ni de cochons ni de chèvres ni de brebis. »

* Daniel Blanchard, La Vie sur les crêtes, 2013, Éditions du Sandre.