Biodiversités : le patrimoine vivant au jardin gastronomique
Arbres, fleurs, légumes, plantes aromatiques, sont donc cultivés ensemble : les chênes, pins et autres grands arbres déjà anciens surplombant le jardin, hébergent des insectes dont les pollinisateurs, oiseaux et autres animaux sauvages qui régulent les populations du jardin et offrent ombrage et protection, aux cultures et aux jardiniers ; les Chénopodes et pommes de terre, scabieuses, folle avoine et iris, les plantes sauvages côtoient les plantes cultivées ; les roses aux couleurs et parfums multiples ; les zinnias, cosmos, campanules, bleuets, camomilles, achillées millefeuille pour les plus connues. Des fleurs en plantules feuillues, d’autres en boutons, d’autres encore aux corolles épanouies, et certaines en graines, parsèment le jardin, avant de composer des bouquets colorés. Tomates, courgettes, poivrons – pour les ratatouilles et autres plats méditerranéens –, mais aussi pommes de terre, haricots verts et secs, courges, cebettes, tournesols, amarantes, basilics, sauges grandissent ensemble, chaque plante à son rythme et selon sa saison.
Une diversité de plantes qui nous permet de nous nourrir au fil des mois, toutes cultivées en plein champ, confrontées aux intempéries aussi bien qu’au mistral et au soleil brûlant. La diversité de variétés dites « variétés population », reproductibles, non industrielles, est ici recherchée.
Les tomates « véritablement anciennes » sont le plus souvent des variétés oubliées qui ont été remises à l’honneur par des passionnés depuis la fin du XXe siècle. Jean-Pierre a ainsi recueilli des plants de tomates auprès d’anciens jardiniers et paysans dont les fermes et jardins ont été vendus et détruits ou auprès d’autres collectionneurs. Ces variétés anciennes peuvent se reproduire à l’identique, sous l’œil attentif d’un jardinier à la différence des variétés commerciales ou professionnelles, hybrides F1. La sélection « massale » que pratique Jean-Pierre repose sur le savoir faire et l’observation attentive du jardinier. Ainsi ce plant de blette, en toute fin de cycle, encore en terre ce jour, dont il a repéré des aptitudes particulières. Ses graines seront gardées pour les prochains semis. Chaque variété est une histoire entre le projet des humains, un terroir, un climat, une météo annuelle. Les variétés anciennes nous offrent une grande diversité de formes, tailles, couleurs, saveurs et autres vertus nutritives. Ces variétés offrent aussi l’autonomie au jardinier, qui conserve ainsi ses semences et, au fil des années, ses plantes sont de plus en plus à son image et à celle du lieu qu’il cultive.
Le Jardin gastronomique qui est cultivé selon des principes biologiques les plus «naturels» possibles s’appuie sur une connaissance fine des relations entrant dans la composition et le fonctionnement du vivant.
Cette fin d’après-midi a été vécue par par tous les participants véritablement comme une expérience de vie étonnante et enrichissante. Ce projet de vie porté par nos trois maraîchers témoigne qu’avec conscience et rationalité, on peut produire une autre agriculture, celle qui tissera vraiment la connaissance intime du terroir avec celle tirée des meilleures études botaniques et environnementales.
Compte-rendu de la visite au Jardin gastronomique organisée par Lourmarin Culture et Patrimoine, le 30 juin 2023, écrit par Marie-Christine Fave et Serge Cosseron
Hasard de la vie et de l’expérience littéraire que je mène de fait – je consacre plusieurs heures de la journée à la lecture –, j’ai pu achever le livre que j’étais en train de terminer – une sorte d’autobiographie écrite par un vieux militant du courant politique de ma jeunesse, devenu un poète et surtout qui a été un des premiers à traduire les œuvres de l’anarchiste américain Murray Bookchin – avec émotion. Ses mots ont fait écho à notre visite et je me suis senti obligé de vous les faire partager *:
«Ici, il faut du soin…» – oui c’est le mot : avec quel soin était cultivé, moissonné gerbe à gerbe le carré de blé qui fournissait le pain de l’année, le carré de patates, pour les humains et le cochon, le potager, le verger…, dur, constant labeur, mais aussi observation attentive des besoins de chaque plante, de chaque arbre, de chaque chèvre ou brebis – de la peine et parfois de l’angoisse, mais aussi quelle expérience enrichir jour après jour, année après année, quelle connaissance, quelle intelligence de ce fragment de nature avec lequel il fallait vivre en symbiose… Situation, condition limite, évidemment, même si elle est partagée par des millions d’humains, diversement, et toujours sous l’emprise de la nécessité…
Cela parlait d’une autre époque : celle des paysans de l’Ubaye à la fin de la Seconde Guerre mondiale; mais cela sonne très juste à mon avis, même si hier soir il n’était question ni de cochons ni de chèvres ni de brebis. »
* Daniel Blanchard, La Vie sur les crêtes, 2013, Éditions du Sandre.